Vol de flamants roses en Camargue
© Jo Dasson / Flickr - CC BY-NC-ND 2.0
Estuaires, lagunes et deltas, des écosystèmes riches en biodiversité
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De l’estuaire à la lagune, des conditions de vie très variables
Dans l’estuaire, la salinité varie de l’amont vers l’aval, mais avec des fluctuations journalières liées aux marées. Dans la partie amont, les niveaux d’eau varient, mais l’eau reste douce. À l’aval, les sédiments et les matières en suspension apportées par le fleuve sont interceptées par la marée. Elles s’accumulent et s’agglomèrent sous forme d’un bouchon vaseux, opaque, qui se déplace avec la marée : les particules qui le composent sont alors bloquées dans l’estuaire et peuvent mettre plusieurs mois à atteindre le large.
Moins soumis à l’effet des marées, le delta offre des conditions de vie plus stables dans le temps que l’estuaire. Le sel est peu présent dans sa partie amont, seulement inondée lors des crues du fleuve. Dans sa partie aval, la salinité est plus forte en raison d’apports quotidiens de sel par le vent (les embruns). Elle peut être accentuée par l’évaporation, et par les entrées d’eau de mer lors des tempêtes.
L’apparente stabilité des lagunes ne doit pas masquer leur caractère dynamique et la grande variabilité spatiale des conditions de vie. L’influence de la mer varie au sein même de leur périmètre : elle est maximale à proximité des chenaux (appelés graus en occitan) et minimale au niveau des entrées d’eau douce. La salinité suit ce gradient de la terre vers la mer. Elle évolue en outre au au fil des saisons : la concentration en sel augmente en été sous l’effet de l’évaporation et peut diminuer en hiver avec les apports d’eau douce.
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Des milieux jamais figés
La forme des milieux de transition dépend du rapport de force entre les apports terrestres (eau douce et sédiments) et l’énergie de la mer (marées, houle, vagues). Sur le long terme, leur morphologie n’est pas figée, mais peut évoluer si ce rapport de force est modifié.
Dans l’estuaire, le cours du fleuve peut se déplacer à mesure que les marées et les crues apportent de nouveaux sédiments et déplacent les stocks existants. Si les apports de sédiments augmentent, il peut évoluer vers une forme plus deltaïque. Au contraire, s’ils diminuent, il s’oriente vers une lagune.
Les deltas se forment par l’accumulation de sédiments en raison d’un faible marnage. Ces accumulations de sédiments forment un cône, traversé par les bras du fleuve. Tant que les apports de sédiments par le fleuve sont importants, le delta avance sur la mer. S’ils diminuent, le delta peut au contraire régresser, rongé par les marées. Sur le long terme (plusieurs milliers d’années), les variations du niveau de la mer peuvent déplacer l’exutoire du fleuve, provoquant l’abandon du delta.
Dans la lagune, la taille et l’emplacement des chenaux est susceptible de changer : le cordon littoral peut évoluer sous l’effet des marées. Les événements violents comme les tempêtes peuvent même en provoquer la disparition partielle, entraînant une reconnexion soudaine avec la mer.
Ces évolutions lentes peuvent être accentuées ou interrompues par les aménagements réalisés. À titre d’exemple, au cours des dernières dizaines d’années le delta du Rhône a eu tendance à reculer suite à la réduction des apports de sédiments par le fleuve liés aux aménagements réalisés sur son bassin versant.
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Des habitats singuliers sous l’influence des inondations et du sel
Les milieux de transition offrent des conditions de vie très particulières pour les espèces, de part la salinité et les inondations régulières.
L’estran est la partie du rivage qui est immergée à marée haute et découverte à marée basse. Les zones les plus basses de l’estran, recouvertes à chaque marée, constituent la slikke. Elle est formée de vasières dont les sédiments sont remis en suspension à chaque inondation. Cette instabilité du substrat, couplée à l’abondance de particules en suspension et aux courants générés par les marées, empêche l’installation de végétaux et d’algues.
Sur la partie haute de l’estran, le schorre (ou « herbus», « prés salés », « mollières » selon les régions) n’est inondé que lors des grandes marées. Le sol qui se forme est plus stable que dans la slikke, ce qui permet le développement d’une végétation.
Dans les lagunes et les deltas, ces espaces ne sont jamais recouverts par la marée, mais peuvent être inondés par l’eau douce lors des crues. On les nomme alors sansouïres, et la salinité du milieu provient alors de la nappe souterraine, salée sur le littoral suite à l’infiltration d’eau de mer (en savoir plus sur les nappes souterraines).
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Slikke, Le Hourdel
© Stéphanie Kilgast / Flickr - CC BY-NC-ND 2.0
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Schorre, Baie du Mont Saint-Michel
© Geoterranaute, /Flickr - CC BY-NC-ND 2.0
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Sansouïre
© Elsa Barthes / Flickr - CC BY-ND 2.0
Connectés aux milieux environnants par leurs rives et au bassin versant par le fleuve et les affluents, les milieux de transition permettent la circulation des espèces. Ils sont en particulier un passage obligé pour la faune piscicole migratrice. De fait, ce sont des éléments essentiels de la continuité écologique entre les différents milieux aquatiques.
Les données d’inventaire d’habitats (dont les habitats aquatiques) sont accessibles sur le site de l’INPN.
Consultez les données de plus de 20 000 habitats.
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La biodiversité des milieux de transition
La biodiversité des milieux de transition inclut des espèces spécifiquement adaptées aux conditions de vie de ces écosystèmes, mais également celles qui profitent temporairement des ressources alimentaires qu’ils offrent.
De par leur position à l’aval du bassin versant, les milieux de transition collectent une grande quantité d’éléments nutritifs, ce qui les rend propices à la production d’une forte biomasse. C’est particulièrement vrai dans la slikke, où les bactéries se développent en abondance, utilisant les sédiments fins comme support pour leur croissance. En l’absence de végétation, elles offrent une ressource alimentaire d’exception pour les invertébrés des vasières. Composés de vers fouisseurs - comme la gravette - ou de mollusques - comme le couteau, ils atteignent parfois des densités de plusieurs milliers d’individus au mètre carré.
Les végétaux qui occupent le schorre sont adaptées à ce milieu particulier : ils résistent au sel et aux inondations ponctuelles. Il s’agit par exemple des différentes espèces de salicorne, qui forment une végétation dense, source d’alimentation pour les animaux.
Dans les lagunes, la plus grande stabilité des sédiments du fond permettent le développement d’herbiers immergés. Ils sont constitués d’algues et de plantes à fleur, telle la posidonie en Méditerranée.
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Gravette, ver annelide (Nereis diversicolor)
© Fitis-Sytske Dijksen / Saxifraga - Free nature images - CC0
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Couteau (Ensis directus), Wimereux
© Hans Hillewaert / Wikimedia - CC BY-SA 4.0
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Salicorne des marais salants
© Office de Tourisme de Guérande / Flickr - CC BY 2.0
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Grande nacre (Pinna nobilis) dans un herbier de posidonies
© Arnaud Abadie / Flickr - CC BY 2.0
Cette abondance de nourriture fait des milieux de transition des écosystèmes clés pour de nombreuses espèces de poissons. Ils jouent le rôle de nourriceries pour les juvéniles d’espèces marines, comme le bar commun qui passe les deux à trois premières années de sa vie dans les milieux estuariens.
Ils sont également un passage obligé pour les poissons migrateurs - en premier lieu le saumon et la truite - qui effectuent une partie de leur cycle de vie en mer et l’autre dans les rivières.
Grâce à leurs herbiers, les lagunes méditerranéennes offrent quant à elles les conditions nécessaires à la reproduction des poissons, parmi lesquels l’hippocampe moucheté par exemple.
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Truite fario dans la Sorgue de Velleron
© Aaron Gustafson / Wikimedia - CC BY-SA 2.0
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Saumon atlantique (Salmo salar)
© Hans-Petter Fjeld / Wikimedia - CC BY-SA 2.5
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Loup ou bar (Dicentrarchus labrax), Ténérife
© Bjoertvedt / Wikimedia - CC BY-SA 4.0
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Hippocampe
© Flickr - CC BY 2.0
Retrouvez sur le Portail National des données sur les Poissons Migrateurs (Ponapomi) les données portant sur 11 espèces migratrices de France métropolitaine, et accédez à des informations complémentaires.
Estuaires, lagunes et deltas sont déterminants pour les oiseaux lors de leurs périodes de reproduction, de migration ou d’hivernage. En métropole, le flamant rose est un exemple typique dans la mesure où il ne se reproduit que dans le delta du Rhône.
Enfin, plusieurs mammifères marins peuvent être observés dans les estuaires français, par exemple le grand dauphin. Le phoque gris et le phoque veau-marin sont également observés, en période de reproduction, notamment dans l’estuaire de la Somme.
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Flamants roses en Camargue
© Andrea Schaffer / Flickr - CC BY 2.0 -
Grand dauphin (Tursiops truncatus)
© NASA / Wikimedia - CC0
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Phoques en Baie de Somme
© Flickr - CC BY-NC-ND 2.0
En outre-mer, certains estuaires ont la particularité d’être occupés par des écosystèmes particuliers : les mangroves. Ce sont des forêts tropicales constituées de palétuviers, qui sont des arbres capables de se développer sur un sol constamment gorgé d’eau et salé, notamment grâce à des racines aériennes. Les plus grandes surfaces s’observent en Guyane (700 kilomètres carrés) et en Nouvelle-Calédonie (250 kilomètres carrés), ainsi qu’en Guadeloupe et en Martinique (d’après Erwan Roussel, Marc Ducombe et Catherine Gabrié, 2009).
Palétuviers de la mangrove
© Wikimedia - CC BY-SA 3.0